Chaque ouverture de saison attire son lot de passionnés, canne en main, sourire en coin. Mais cette année, derrière les clichés de belles prises et les récits de combats halieutiques, se cache une dérive inquiétante : un marché noir des carpes aux allures de business organisé.
Des carpes revendues jusqu’à 20 000 euros : la pêche devient un business
Dans les Yvelines et en Île-de-France, certaines carpes trophées s’arrachent à prix d’or. On parle ici de 20 000 euros pour un seul poisson. Plus que de simples prises, ces carpes deviennent des biens de luxe, ciblés pour repeupler des étangs privés où les pêcheurs paient cher pour avoir la chance de les attraper… et les relâcher.
Les braconniers, eux, l’ont bien compris. À Achères, un pêcheur raconte avoir surpris deux individus en plein prélèvement illégal. « Ils ne sont pas là pour pique-niquer », lâche un membre d’une association carpiste. Les vols sont récurrents, planifiés, et bien rodés.
Des étangs privés complices ? Le silence qui dérange
Les poissons ne s’envolent pas. Il faut des réseaux, des relais, et souvent des acheteurs bien identifiés. Dans certains cas, les carpes volées finissent dans des plans d’eau privés, bien contents d’attirer une clientèle prête à débourser des fortunes pour un “catch & release” de prestige.
Ce silence complice de certains gestionnaires de plans d’eau interroge. Qui alimente ce marché parallèle ? Quelles complicités entretiennent cette boucle ? Aucun nom ne sort, mais les soupçons sont là, et ils commencent à faire grincer les lignes.
Une surveillance inefficace malgré les alertes
Les associations de pêche, malgré leurs alertes, se retrouvent souvent seules face à un phénomène de grande ampleur. Peu de contrôles, des sanctions dérisoires, une police de la pêche sous-dotée : le cocktail idéal pour un trafic discret mais juteux.
On parle d’un poisson, pas d’armes ni de drogues. Et c’est bien là le problème : le braconnage de carpes n’intéresse personne. Alors il prospère, en toute tranquillité, avec pour seules sentinelles quelques bénévoles exaspérés.
Le braconnage s’organise, la pêche sportive se dégrade
Chaque carpe volée est une perte pour les plans d’eau, mais aussi pour les pêcheurs honnêtes. L’expérience de la pêche sportive en prend un coup : moins de poissons, moins de diversité, et la peur de voir son coin préféré vidé en une nuit.
Pendant ce temps, les réseaux de revente s’organisent, livrent sur commande, et gèrent leurs “stocks” comme une entreprise bien huilée.
Le monde halieutique face à ses contradictions
Ce marché noir révèle un malaise plus profond dans la pêche moderne. Quand certains étangs affichent fièrement leurs carpes de 30 kilos comme arguments commerciaux, n’est-on pas en train de transformer un loisir en business cynique ?
Le mythe de la grosse carpe, trophée ultime, alimente une logique de surenchère, où l’animal n’est plus un adversaire à respecter, mais une marchandise à monnayer. Et tant pis si ça vide les rivières.
Une question de volonté politique, ou de priorité ?
Tant que les autorités refuseront d’aborder frontalement le sujet, les voleurs continueront de pêcher la nuit, en silence, pendant que les passionnés défendent seuls leurs terrains de jeu. Le trafic de carpes, aussi absurde qu’il puisse paraître, devient une vitrine des failles de notre gestion de la nature.
Et pendant que certains se frottent les mains avec des ventes à 5 chiffres, les étangs se vident, les lignes s’agitent, et le poisson paie le prix fort.