Depuis plusieurs années, deux figures agitées du monde aquatique cristallisent les tensions : le silure glane, poisson géant souvent diabolisé, et le grand cormoran, oiseau piscivore accusé de dévaster les écosystèmes halieutiques. Réguler ou protéger ? Les avis sont tranchés, mais les faits méritent un examen plus posé.
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Le silure : géant des eaux ou épouvantail médiatique ?
La légende du silure mangeur de chiens a la vie dure. Ce poisson, introduit dans les cours d’eau français dès les années 1850, est aujourd’hui présent dans la majorité des grands fleuves, lacs et barrages. Il impressionne par sa taille – jusqu’à 2,5 m pour plus de 100 kg – et intrigue par son comportement alimentaire.
Classé ni nuisible, ni invasif, ni même déséquilibrant sur le plan biologique, le silure échappe à toute forme de stigmatisation officielle. Le dernier rapport de l’Office français de la biodiversité (OFB), sur lequel s’appuie la Fédération nationale de la pêche, insiste sur l’insuffisance de données scientifiques pour juger objectivement son effet sur la biodiversité.
Des études fragmentées et peu concluantes
Les analyses du contenu stomacal révèlent un régime opportuniste : poissons, écrevisses, mollusques, amphibiens, voire déchets humains. Certaines études ciblées pointent une pression sur les poissons migrateurs amphihalins, mais ces impacts sont jugés difficiles à quantifier et très dépendants du contexte local.
L’OFB rappelle aussi que d’autres facteurs bien plus anciens fragilisent les populations piscicoles : barrages, pollutions, surpêche, ou changement climatique. En clair, le silure pourrait être un symptôme plus qu’un agent pathogène.
Le grand cormoran : prédateur protégé sous surveillance
Avec une population en croissance depuis les années 1980, Phalacrocorax carbo sinensis est devenu un sujet sensible. L’espèce bénéficie d’une protection européenne stricte, mais des dérogations sont accordées au cas par cas, surtout dans les zones de pisciculture extensive ou dans certains cours d’eau abritant des espèces menacées.
Des autorisations ponctuelles, des effets incertains
Dans le département du Cher, un arrêté préfectoral autorise la destruction des cormorans pour la campagne 2024-2025. Ce dispositif repose sur des quotas et un suivi obligatoire. À l’échelle nationale, un arrêté ministériel du 24 février 2025 a élargi les possibilités de régulation par tir ou effarouchement, mais en excluant certains départements où la sous-espèce carbo carbo est également présente.
Malgré les plaintes répétées des pisciculteurs et pêcheurs, les experts peinent à établir une mesure fiable des dégâts. Les avis se divisent : certains dénoncent une explosion des prédations, d’autres y voient une réaction émotionnelle face à une espèce mal connue.
Silure et cormoran : coupables idéaux ou boucs émissaires ?
Dans les deux cas, la réponse institutionnelle reste prudente, voire évasive. Aucune des deux espèces n’est aujourd’hui classée nuisible selon les critères du Code de l’environnement. L’OFB comme les préfets s’accordent sur la nécessité d’évaluations au cas par cas, sans généralisation hâtive.
Ce que la science ne dit pas (encore)
L’absence de consensus scientifique favorise le débat, parfois houleux. La tentation est forte de chercher un responsable visible aux dérèglements écologiques. Mais ni le silure ni le cormoran n’expliquent à eux seuls la raréfaction de certaines espèces.
La complexité des milieux aquatiques, l'accumulation des pressions humaines et l'inertie administrative ne plaident pas pour des décisions tranchées. À ce jour, les réponses restent pragmatiques et locales, loin d’une classification générale.
Prudence avant le classement
Classer une espèce comme nuisible est un acte lourd de conséquences, tant sur le plan juridique que symbolique. Or, pour l’instant, aucune donnée solide n'étaye une telle décision pour le silure ou le grand cormoran. La régulation ciblée semble être l’approche retenue, même si elle divise les milieux de la pêche et de la chasse.
La question reste donc ouverte : faut-il vraiment trancher ? Ou continuer à observer, documenter et adapter au cas par cas ? Rien n’est moins sûr.